Un bruit de balançoire
... le poème est d'autant plus présent que le poète est absent. Aucune trace là-dedans de catéchisme. Juste la baguette de noisetier de la vie, souple et nerveuse, cinglant le vide. Ce n'est rien ce souffle, oui, mais ce rien est l'apothéose de la poésie, sa vrai gloire qui n'est aucune église. J'ai eu un soir la gorge serrée par l'intervalle entre deux notes de l'Art de la fugue de Bach. j' ai la même angoisse-délivrance (la délivrance commence toujours par une agonie) en lisant ces poèmes. Il me semble qu'un brin d'herbe me convoque au tribunal de Dieu - même si je ne sais définitivement pas ce qu'est Dieu. D'ailleurs je m'en moque. La poésie, cher penseur, est un instrument d'optique autrement plus fin que les télescopes qui grattent le nombril du ciel. Elle est cet amour qui se meurt de se dire. Elle est ce souffle qui explose après notre dernier souffle...
La poésie nous donne du pain. Sans elle nous mourrions de faim. Ce pain, émiettons-le, lançons-le aux moineaux. C'est leur bec qui dactylographiera le plus sûr des poèmes sur la terrasse : tac tac tac ! Le poème s'écrit avec rien...
Christian Bobin
Un bruit de balançoire - Edition l'Iconoclaste - Septembre 2017