LE PASSAGER ORDINAIRE
Ce n'est pas un passager ordinaire. Ce n'est pas un étranger apprivoisable. C'est un migrant opportuniste qui fait parler de lui avec antipathie. Il arrive en sourdine. Il avance à pas lent et déterminé. Rien pour le détourner. Rien pour le barricader. Rien pour l'arrêter. Pas de barrière. Pas de mur. Pas de barbelé. Il ne se présente pas. Il s'impose. Il ne choisit pas sa cible. Il n'a pas de cible. Tout être vivant est prévisible cible. Il n'a pas d'ennemi, pas d'ami non plus. Il fait son lit sans bruit dans le corps sage ou insoumis, tel un adopté indésirable, inévitable, tel un pieux compagnon d'avancé. Il n'abandonne ni le corps, ni l'âme, qu'il grignote sans complexe à petite lippée avec sa persistance déterminée.
Il y a les mots simples pour le nommer et tant de locutions complexes qu'il est difficile de se frayer un chemin sur le front obscur de son histoire. Il fait couler de l'encre ébène et des larmes cristallines. Il tourne la tête des explorateurs, ces sourciers qui scrutent en permanence l'intimité de la vie, et celles de ces émissaires éteints à la déclaration de cet envahisseur qui va réduire jusqu'à l'anéantissement sa cible.
Sur le mur de l'existence il grave son ardeur menteuse sans remord, sans scrupule et la cible choisie glisse lentement dans son histoire avec pour seul horizon, la persistance du sursis.
Anne-Marie Dutilh
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